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Emotions Résiduelles

Chroniques du pire et du meilleur

Publié le par Patrice Rey

Le verrou

Le verrou

En dépit des baisers déposés tendrement,
Sur son ventre arrondi, comme si c’était toi,
Je ne ressentais pas cet amour fulgurant,
Que ta mère exprimait, toute pleine d’émoi.
Un verrou mal placé, bloquait mes sentiments,
Et ces neuf premiers mois je ne fus qu’une voix,
Rien qu’un son parmi d’autres, qui venait doucement,
Chatouiller tes oreilles en disant « c’est papa ».

C’est un soir comme un autre, sans raison apparente,
Alors que nous étions, sagement installés,
Que tu pris le parti d’interrompre l’attente,
Pour pointer dans nos vies ton petit bout de nez.
En gardant pour moi seul, les questions angoissantes,
Pour rassurer ta mère, d’un air décontracté,
J’ai chargé dans le coffre la valise encombrante
Et nous sommes partis, pour la maternité.

Arrivés sur les lieux nous fûmes accueillis,
Par une sage-femme sure de son affaire,
Qui après avoir fait les examens requis,
Affirma sans détour qu’il n’y avait rien à faire.
Qu’avant que tu ne fasses entendre un petit cri,
Il nous faudrait attendre, une journée entière,
Et que par conséquent, du moins pour cette nuit,
Je pouvais retourner, dormir dans ma chaumière.

Je repris donc la route, direction la maison,
Quand furent installées, dans une chambre blanche,
La valise et ta mère, mise en observation,
Dans l’attente qu’enfin, le travail se déclenche.
Tout seul dans la voiture, face à mes émotions,
Au milieu de la nuit d’un étrange dimanche,
Mon verrou fut soumis, à de telles pressions
Qu’il s’en fallut de peu que ne saute la clenche.

Une fois au logis, je n’ai pu m’endormir,
Mes pensées tournoyaient comme un vol d’étourneaux.
Je pensais à nous trois et à notre avenir.
À ce qui était fini, à ce qui était nouveau.
Et quand le téléphone se mit à retentir,
Pour me dire : reviens, ça y est, c’est pour bientôt,
Après juste quatre heures, que l’on m’eut fait partir,
Je n’avais pas pu prendre un instant de repos.

D’une célérité tout à fait surprenante,
Je suis donc retourné à la maternité,
Convaincu que ta mère, devait être impatiente,
Pour ne plus être seule, de me voir arriver.
Quand j’entrais dans la salle, elle était souriante,
Et me dit « cette fois, je crois que ça y est »,
Alors dans ma poitrine, sous la pression croissante,
Je sentis le verrou, presque prêt à lâcher.

Nous avons partagé, le travail, les douleurs,
Les moments de répit entre les contractions.
L’horloge qui comptait d’interminables heures,
Interrompues parfois par une apparition,
Qui entrait dans la pièce, pleine de bonne humeur,
Regardait les graphiques et la dilatation,
Puis sortait en disant, « C’est bien ! À tout à l’heure »
Après m’avoir laissé poser quelques questions.

Enfin est arrivé le moment fatidique,
Celui où tout bascule, dans la vie d’un humain,
Lorsque j’ai vu ta mère, endurer, héroïque,
La souffrance incroyable, de t’ouvrir le chemin.
Je ne verrai jamais, scène plus magnifique,
Que ta tête sortant, de son ventre divin.
Je n’entendrai jamais, plus grandiose musique,
Que ton tout premier cri, dans le petit matin.

Et devant ton visage, dans ce premier regard,
Qui nous a réunis, le verrou fatigué,
Quelque part dans mon cœur, a craqué sans pouvoir,
Retenir tout l’amour, que j’avais engrangé.
J’ai pleuré mon bonheur, sans pudeur et sans fard,
À la face du monde, sans vouloir contrôler,
Ce moment merveilleux, cette ivresse d’avoir,
L’émotion d’être un père, que j’avais tant souhaitée.

Et depuis trois semaines, que tu es arrivé,
Cet amour incroyable, que j’ai alors senti,
N’a cessé de grandir, n’a cessé de gonfler,
Comme boule de neige qui roule et qui grossit.
Le verrou malheureux, qui m’avait inquiété,
Aujourd’hui arraché, disparut dans l’oubli,
À présent j’en suis sûr, ne sera plus posé,
Entre nous mon Sacha ce sera pour la vie.

Publié dans Bonheur

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